Django Unchained

Nous sommes en 1858, deux ans avant la guerre de Sécession, et Django est esclave. Il marche, enchaîné à ses compagnons de malheur, et on distingue vaguement sur sa joue le « R » marqué au fer rouge, qui le désigne comme ex-fugitif. La compagnie croise la route du Dr King Schültz, ancien dentiste reconverti en chasseur de primes, qui souhaiterait faire l’acquisition d’un esclave en particulier. Quelques coups de feu plus tard, Django est libre ou presque. Il fait un marché avec le Docteur. Il l’aidera à traquer trois bandits, puis il profitera de sa liberté pour retrouver sa femme et venger son peuple sur le chemin.

djangoschultz

Depuis le temps que Quentin Tarantino joue avec les codes du Western, il fallait bien qu’il en fasse un. Et c’est un vrai de vrai qu’on découvre, un western spaghetti comme on n’en voit plus. Entre ses personnages loin d’être manichéens, sa violence omniprésente, ou encore ses plans larges et ses zooms rapides, le film suit docilement les caractéristiques du genre. Mais c’est bien la seule fois où il est sage.

Le casting, tout d’abord est jubilatoire. Non content de s’offrir un Leonardo Di Caprio parfait dans le rôle d’un négrier abjecte, Tarantino nous régale avec le retour de Christoph Waltz. On l’avait adoré dans Inglorious Basterds, où il jouait un nazi polyglotte, il nous revient sous les traits d’un chasseur de prime. C’est avec un étrange soulagement qu’on constate que le personnage est aimable. Peu fréquentable, mais aimable tout de même. C’est vrai, on s’était senti un peu idiots lors du dernier film à chanter les louanges du gros méchant nazi. On retrouve aussi un autre habitué, Samuel L Jackson, tout simplement exceptionnel dans le rôle de l’esclave ayant complètement intégré les codes de ses maîtres. Vieillard tremblotant et bouffon du roi, il inspire tour à tour attendrissement, pitié, puis haine. Même Django, joué par un Jamie Foxx tout en colère rentrée ne nous est pas toujours sympathique, avec sa détermination en forme de bombe à retardement.

Comme on pouvait s’en douter, la violence est spectaculaire. Tarantino semble considérer qu’un geyser de sang de moins de 3 mètres n’est pas suffisant pour illustrer une blessure, et que l’hémoglobine est un substitut tout à fait valable à la peinture murale. De même, les tirs au fusil ont une puissance telle qu’ils projettent en arrière le malheureux destinataire sur plusieurs mètres. Quant à la dynamite n’en parlons pas: deux ou trois bâtons semblent suffire pour faire exploser une villa entière.
On entend déjà japper au loin les hordes d’opposants à cette violence que l’on pourrait considérer comme gratuite. Certes, Tarantino ne fait pas dans la dentelle, mais le côté extrêmement exagéré de ces manifestations casse l’effet. Si les blessures étaient réalistes, on finirait par avoir la nausée de toute cette violence far-westienne. Alors que cette débauche de gore permet la distanciation: dans la vrai vie cela ne se passe pas comme ça, alors on a le droit de rigoler.  Au point qu’au final la scène qui reste la plus dérangeante est la plus réaliste: celle où deux esclaves se battent à mains nues sous le regard de leurs maîtres respectifs. Ici pas d’explosion de sang, pas de spectaculaire: juste le calme sordide des deux négriers contemplant leur oeuvre.

Calvin Candie (Leonardo DiCaprio)

Non, Calvin Candie ne s’apprête pas à faire du bricolage.

La bande originale, grande spécialité de Tarantino, est encore une fois mitonnée aux petits oignons. Comme dans Inglorious Basterds, où les accrochages entre nazis et américains étaient conduits sur de la musique western, la BO de Django excelle dans l’anachronisme. Entendre débouler du Hip-hop dans le plus pur style US lorsque la caméra montre une file d’esclave est assez déroutant, et on reste bouche bée devant le fait que cela convienne aussi bien. De même on a droit à  un moment d’anthologie où des cavaliers pré-ku-klux-klan déboulent sur la Chevauchée des Walkyries, pour plus tard tergiverser sur la façon dont leurs cagoules ont été cousues. C’est donc un joli fouillis musical, surprenant mais toujours pertinent. Le réalisateur a même le luxe de se payer une chanson originale de Enio Morricone, Ancora, en plus d’utiliser d’autres morceaux du compositeur.

Pour le reste, c’est du Tarantino pur jus. Dialogues absurdes et anecdotiques entre méchants peu éclairés, apparition-caméo de ce dernier pour un rôle de quelques minutes où il aura pris soin de se réserver une mort spectaculaire, et la désormais traditionnelle scène de tablée, où on sent la tension monter lentement, oh si lentement.

Un bémol cela dit: Tarantino semble avoir oublié de caser un ou deux personnages féminins utilisés autrement que pour leur physique. Ici point de Mia Wallace (Pulp Fiction) ou de Beatrix Kiddo (Kill Bill), juste des esclaves plantureuses, ou une veuve au sourire parfait. Seule la femme de Django apparaît plus régulièrement, bien que majoritairement dans l’imagination de ce dernier. Mais elle est recluse dans le rôle de la princesse à sauver des méchants monsieurs. Difficile d’en vouloir au réalisateur, qui n’est d’habitude pas le dernier pour caser de la donzelle qui envoie, mais on se demande d’où vient cette absence, la période historique ne justifiant pas tout.
On passera rapidement sur la polémique ridicule créée par nos amis d’outre-atlantique. La bien-pensance atteint des sommets d’hypocrisie quand on se plaint d’entendre le mot nigger, nègre en français, dans un film traitant de l’esclavage.

Au final il est difficile de ne pas faire la comparaison avec Inglorious Basterds, car les deux scénarios présentent des similitudes frappantes: un peuple oppressé dans une période historique déterminée, une personne exceptionnelle qui se soulève contre cet état de fait, un méchant si sadique, une résolution complètement anachronique, et j’en passe et des meilleurs. Mais cela n’a guère d’importance au final. Quentin Tarantino est suffisamment malin pour camoufler tous ces parallèles, et il ajoute suffisamment d’inventivité pour qu’on ne sache pas toujours où il veut en venir. Au final, c’est un film ovni, jubilatoire dans son refus de céder à la facilité, et surtout hilarant. On se sentira parfois vaguement gêné de rire, mais aussi reconnaissant à l’auteur d’oser traiter d’un sujet si sensible avec autant de liberté.

6 réponses à “Django Unchained

  1. C’est, encore une fois, exactement ça! J’adore ta critique, le film est encore tout frais dans mon esprit je l’apprécie d’autant plus! (Et les Américains qui s’offusquent d’entendre nigger… Grrr aaaah…)

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